13.05.2013 | Le Soir | door Catherine Makereel

 

Nouvelle création d’Anne-Cécile Vandalem au Kunsten

 

Hallucinant ! On ne voit pas d’autre mot pour décrire la performance fiévreuse de Vincent Lécuyer qui porte seul sur ses épaules “After the walls (Utopia)”, nouvelle création dense d’ Anne-Cécile Vandalem. Pendant près de deux heures, le comédien belge emporte le public dans une logorrhée révolutionnaire. Comme un Lénine guidant le peuple, ou un prédicateur évangéliste, il nous harangue, nous prend à partie, interroge nos rêves ou s’assied parmi nous. Tantôt le regard délirant du missionnaire exalté, tantôt l’air engoncé dans un costume trop chic, il passe du colporteur fatigué au politicien manipulateur. Ce mélange de passion et de faiblesse nous aimante tant il est habile. Et tant le texte d’Anne-Cécile Vandalem est adroit pour mélanger les interprétations.
 

Dernier volet de sa Trilogie des Parenthèses (“(Self) Service”, “Habit(u)ation”), “After the walls (Utopia)” interroge les utopies collectives : le marxisme bien sûr, mais aussi l’architecture moderniste à la Le Corbusier, ou encore un courant new age pseudo-psychanalytique autour des rêves, de la naissance et de notre place dans le monde. Un grand patchwork ? Oui, mais finement tricoté ! A partir d’une documentation fouillée, Anne-Cécile Vandalem part d’arguments solides pour construire un discours mobilisant mais parsemé d’ironie et de dérives surréalistes, ce qui déstabilise nos niveaux de lecture. C’est cette ambivalence qui questionne la notion même d’utopie. Est-on dans une justification des programmes de rénovation urbaine et la critique d’une architecture qui a oublié l’humain ? Est-on dans une dénonciation de l’immobilisme social et de l’aliénation des masses ? Ou assiste-t-on aux manoeuvres d’embrigadement d’un autiste sectaire ? Au prosélytisme d’un doux dingue ? Le texte mélange tous ces discours avec beaucoup d’humour et des slogans à la fois séduisants et ridicules, du style : “Seule la main qui efface peut écrire le mot juste.” Séduisantes aussi, ces vidéos de barres d’immeubles dynamitées, s’effondrant comme des châteaux de cartes dans un nuage de poussière. Des images qui donnent l’illusion qu’en poussant sur un bouton magique, on peut changer la face de la ville, faire table rase.
 

“After the walls (Utopia)” est donc un spectacle fascinant, dont les quelques longueurs sont largement compensées par la présence magnétique du comédien, et son jeu cabotin avec le public (conseil d’ami : triez votre sac à main avant d’y aller). Entre érudition et autodérision – il faut voir Vincent Lécuyer mimer notre expulsion universelle du vagin maternel – le spectacle affiche quelques ressemblances avec l’univers de Transquinquennal et s’adresse surtout aux amateurs de digressions philosophiques.
 

 

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