22.02.2018 | IOGAZETTE | Christophe Brianchon

 

Errance du temps

 

C’était au mois de janvier, il y a deux ans. Anne-Cécile Vandalem créait « Tristesses », nous laissant alors la découvrir, elle et le destin de son œuvre, aujourd’hui entourée d’un succès dont on craignait qu’il ne l’assomme. C’était bien mal la connaître.

 
« Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre », elle est revenue, celle que le petit monde du théâtre européen attendait tant, avec pour point de départ, toujours, cette ville de Bruxelles, de laquelle la pièce s’en est allée déjà pour une tournée qui s’annonce une fois encore inhumaine. Mais alors, que reste-t-il de cette si belle tristesse, qui était celle de ceux qui restent quand plus rien ne subsiste ? L’enfer des larmes, toujours, mais bien plus encore. De l’Arctic Serenity, ce bateau errant dans les eaux du pôle Nord, naufragé par deux fois et symbole de l’incapacité des hommes à apprendre de leurs erreurs, le spectateur voit bien plus ici que la tristesse de ceux qui l’habitent. De l’Homme, définitivement déclaré incapable, l’auteure et metteuse en scène s’extrait pour nous laisser assister à un spectacle bien plus ambitieux encore : celui de la désertification du monde, que plus rien d’autre n’habitera que les erreurs du temps passé.
 
De l’Homme au Monde, comme un double processus de rejet de l’autre et de croyance en une seule chose : le Théâtre. Car c’est peu dire qu’il en faut, de l’ambition et de la foi pour penser que sur les planches d’un plateau peut se refléter la destinée d’un monde entier. Il en faut, et ce d’autant qu’Anne-Cécile Vandalem fait le choix de n’en rien montrer sur la scène, et de faire se dérouler la totalité de la pièce en un huis clos dont on ne pourra s’extraire que par un procédé scénographique déjà utilisé chez Ivo van Hove dans « Kings of War », mais dont l’utilisation se révèle ici peut-être plus belle encore, quand le hors-champ de la scène, filmé en direct et projeté, explique aux spectateurs le fruit du comportement des hommes et les raisons de leur fuite. De ce hors-champ s’échappe alors une certitude : cette arche de Noé des temps modernes dérive sur les eaux du royaume de ce qui n’est plus et ne sera plus jamais.
 
À l’image des neiges éternelles de l’Arctique, plus rien ne subsiste ici que cette boue devenue la matière même de nos larmes, qui colle aux pieds pour mieux nous rappeler à chaque pas que l’idée même du futur est en train de fondre sous nos yeux. Une idée à laquelle viennent se confronter à plusieurs reprises les élans de croyance en un possible des personnages de ce drame, et en particulier du groupe de musiciens, qui occupent le fond du plateau comme pour nous interpeller alors qu’ils posent cette question simple : « Anyone ? » Parce que oui, y a-t-il quelqu’un, tout de même, pour essayer une dernière fois ? Pour essayer de nous faire pardonner cette faute originelle que l’on traîne depuis tant de siècles, qui nous amène aujourd’hui à reproduire les comportements de cette gourmandise égoïste qui déjà en son temps faisait disparaître l’Éden et mourir Caïn ? C’est donc bien que, malgré le désert qu’elle nous montre, Anne-Cécile croit certainement encore un petit peu, allez savoir… Reste qu’au terme de ce voyage d’une élégance scénographique et dramaturgique rare ne subsistera que ce bateau de malheur qui, tel le passé qui n’est plus, ne cessera de

 
 
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