31.01.2018 | rtbf | Dominique Mussche

 

“Arctique”, thriller politique sur fond de guerre climatique

 

Arctique : Une fable d’anticipation sur fond de guerre climatique

 

La perspective d’une nouvelle création d’Anne-Cécile Vandalem suscite toujours une curiosité passionnée. Auteure, metteuse en scène, un peu scénographe et souvent actrice dans ses propres pièces, la directrice de la compagnie Das Fraülein nous a rarement déçus. Depuis Zaï Zaï Zaï en 2003, elle a construit au fil des années un univers singulier qui mêle théâtre et cinéma, et où la scénographie, loin d’être un simple décor, joue un rôle essentiel dans la dramaturgie. Tristesses, son dernier spectacle, a conquis un large public bien au-delà de nos frontières et continue à tourner.
 
“Depuis toute petite, je suis attirée par le Grand Nord”, nous dit Anne-Cécile Vandalem, et “une image n’a eu de cesse de me hanter : celle de ma propre mort sur la banquise”.Ce Grand Nord, elle l’avait déjà en partie exploré dans Tristesses, sombre chronique d’un village danois sur fond de polar politique. Cette fois, elle met le cap plus loin encore, au Groenland, et élargit la dimension politique.
 
Sous nos yeux se déploie le fastueux salon de l’Arctic Serenity, un ancien bateau de croisière de luxe qui a heurté une plateforme pétrolière dès son inauguration en 2017. Nous sommes à présent en décembre 2025 ; après des années en cale sèche, il sera tracté jusqu’au Groenland pour être transformé en hôtel cinq étoiles. Nous y verrons embarquer six passagers clandestins, invités à participer à la traversée : il y a notamment le passeur et sa complice (Guy Dermul et Epona Guillaume), une veuve portant les cendres de son mari (Mélanie Zucconi), une ministre incognito (Véronique Dumont) et un prétendu acteur en repérage (Jean-Benoît Ugeux). Frédéric Dailly, Eric Drabs, Philippe Grand’Henry, Zoé Kovacs et Gianni Manente apparaîtront plus tard. Mais qui les a convoqués, et dans quel but ? Qui sont-ils vraiment et quelles sont leurs intentions en montant à bord ? Peu à peu seront dévoilés le dessous des cartes et les enjeux politiques de cette fable d’anticipation : d’ici quelques années, imagine la metteuse en scène, du fait du réchauffement climatique le Groenland sera redevenu le pays qu’il était avant l’ère glaciaire, et donc une terre à cultiver, un sous-sol à exploiter et des paysages pour attirer les touristes. Mais comment empêcher la mainmise des grandes puissances sur ces richesses ? Et comment préserver le pays d’une surexploitation ?
 
Sur base de ces passionnantes questions d’écologie, Vandalem tisse un thriller complexe dont tous les personnages s’avèrent liés d’une manière ou d’une autre au nœud du problème et au passé tragique de l’Arctic Serenity. Non moins complexe, l’esthétique mise en œuvre par cette passionnée de scénographie, et déjà testée dans Tristesses. Le salon du navire n’est que la partie visible du décor; dès qu’ils en franchissent les portes, les acteurs sont filmés par des caméras dans les couloirs, les cabines ou sur le pont du paquebot. Ces images, projetées sur un écran du salon, nous dévoilent non seulement la face cachée des passagers, mais aussi, sous forme de flash-backs, les alliances, les trahisons et les conflits anciens qui ont motivé leur présence sur ce bateau en 2025. Une prouesse technique inouïe, véritable moteur de l’intrigue, qui, en juxtaposant le dehors et le dedans, mêle aussi les temporalités.
 
Clin d’œil au Titanic, un trio de musiciens participe à la reconstitution fantasmatique du luxueux vaisseau jadis accidenté. Malgré le sérieux du propos, Vandalem cultive en effet le second degré et ne se prive pas de nous faire sourire en accentuant les travers de ses personnages ou le comique de certaines situations, comme cette multiplication des révolvers passant d’une main à l’autre sans qu’on sache toujours pourquoi, qui donne parfois à cette folle aventure un côté “Tintin au Groenland”.
 
Au final, on n’est que partiellement convaincus par ce nouveau thriller politique : si Vandalem parvient à créer une atmosphère, si le sujet abordé est rigoureusement documenté et si le système de caméra hors-champ parfaitement maîtrisé ouvre des perspectives intéressantes, la complexité du propos et des moyens utilisés crée parfois des longueurs et des confusions.

 
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